La faillite de Silicon Valley Bank montre que les déboires d’une petite banque, facilités par l’avidité de ses dirigeants et la dérégulation financière, peuvent éventuellement provoquer une crise nationale.
La seizième banque américaine, Silicon Valley Bank (SVB), a fait faillite le week-end dernier. Et pas de manière sophistiquée, juste un bon bank run à l’ancienne, type XIXe siècle, c’est-à-dire une fuite des déposants qui ont perdu confiance dans leur banquier. Les autorités financières ont immédiatement établi un filet de sécurité pour éviter toute généralisation de la panique.
Comment la banque chérie des startupers de la Silicon Valley en est-elle arrivée là ? Petit retour en arrière.
Avec la pandémie mondiale, les entreprises de la tech connaissent un énorme boom boursier : la technologie va sûrement prendre une place de plus en plus grande, les perspectives de profits du secteur s’accroissent, c’est le moment d’y investir.
L’avidité de Silicon Valley Bank
Les fondateurs de startup trouvent de l’argent rapidement, qu’il faut bien mettre quelque part en attendant que leurs produits réussissent, ou pas. SVB recevait une large partie de ces dépôts qui ont explosé avec la pandémie, passant de 102 milliards de dollars en 2020 à 189 milliards en 2021.
Comme toutes les banques, celle-ci accorde des financements mais à un niveau bien moindre que le total de ses ressources ; elle cherche donc à placer le surplus. Jusqu’en 2018, ses dirigeants privilégient l’achat de titres de court terme – moins d’un an – essentiellement dans l’immobilier. Mais cela rapporte peu. Ce n’est pas grave, les taux d’intérêt sont bas, la banque n’est pas un fonds spéculatif, elle n’a pas à justifier de très hauts rendements.
C’est sans compter sur l’avidité des actionnaires et des dirigeants. Pour accroître le rendement des placements, ils achètent de plus en plus de titres de long terme, aux taux d’intérêt plus élevés. Tout le monde sait qu’un jour les banques centrales vont remonter les taux. Et quand cela se produira, la valeur des titres détenus chutera : une obligation ancienne qui rapporte 1 % perd de la valeur quand, avec la hausse des taux, les nouvelles rapportent plus de 4 %. Si l’on est obligé de la vendre avant terme, cela se traduira par une moins-value. Mais si l’on peut la conserver, on touche les intérêts et on attend patiemment.
Seulement voilà, les investisseurs financiers toujours à l’affut d’un bon coup ont fait leurs calculs : avec la hausse rapide et forte des taux d’intérêt aux Etats-Unis, si jamais SVB est obligé de vendre, cela occasionnera une perte d’environ 15 milliards de dollars quand son capital pour l’absorber est de… 16 milliards. Oups !
Le boom pandémique de la tech n’a duré qu’un temps. Depuis de longs mois le secteur est nettement orienté à la baisse et tout le monde est nerveux. Des clients de SVB commencent à retirer leurs dépôts, doucement, puis, de manière inattendue, fortement en février et début mars.
SVB est obligée de faire ce qu’elle ne voulait pas faire : vendre une partie de ses placements pour rembourser les clients. Et reconnaître des pertes : 1,8 milliard d’un coup. Vite, pour rassurer tout le monde, la banque annonce en même temps que ses pertes une augmentation de capital, une défense classique et opportune… quand on arrive à la réaliser.
Trop tard : les créanciers n’ont plus confiance dans la banque. Du coup, c’est panique chez les déposants : le 9 mars, sur une seule journée, ils retirent 42 milliards de dollars, un quart du total. SVB n’a pas de quoi payer tout le monde. C’est la faillite.
Force de réaction rapide
Deux types d’acteurs vont réagir extrêmement rapidement. En premier, des fonds spéculatifs sont venus tout de suite proposer aux dirigeants des startups de leur fournir immédiatement l’argent correspondant à leurs dépôts mais pour 60 à 80 cents pour un dollar, en espérant pouvoir de leur côté récupérer plus. Les vautours se sont jetés sur les proies sans attendre.
Mais la banque centrale, le Trésor et les régulateurs financiers américains sont intervenus dès le weekend dernier pour mettre en place un programme d’intervention destiné à aider les banques qui connaîtraient des difficultés et éviter toute contagion de la panique.
Le message est clair : si les déposants vous font le même coup qu’à SVB, ne vendez pas vos vieux titres qui vous feront faire des moins-values, apportez-les-nous, on vous les prend au pair – sans décote – comme garantie contre autant de prêts qu’il faudra pour rembourser les dépôts de vos clients en intégralité. On fera ensuite les comptes sur ce qui a été dépensé et on imposera une taxe sur le secteur bancaire qui devra rapporter un montant équivalent. L’argent du contribuable ne sera pas mobilisé.
Les dépôts sont garantis jusqu’à 250 000 dollars, une assurance suffisante pour rembourser les ménages, sauf les très riches, s’il arrive des soucis à une banque. Dans le cas de SVB, 97 % des dépôts étaient largement supérieurs et donc non assurés. D’où la nécessité d’une intervention publique.
Les autorités américaines ont bien pris soin de souligner que les actionnaires et les dirigeants de la banque n’étaient pas sauvés : ils y perdent leur investissement dans la banque et leur job. Mais les clients le sont.
Trois leçons
Après plusieurs jours assez agités, la fin de l’histoire n’est pas encore écrite. Mais on peut d’ores et déjà tirer trois leçons de cette nouvelle phase d’instabilité bancaire.
D’abord, même les petites banques peuvent être systémiques, c’est-à-dire que leurs petits déboires locaux ou sectoriels peuvent éventuellement provoquer une crise nationale. Le secteur de la tech et des cryptos apparaît clairement aujourd’hui comme une source d’instabilité bancaire : avant SVB, Silvergate, une banque spécialisée dans les cryptos a fait faillite puis une autre, Signature Bank, juste après. Des nains bancaires peuvent-ils faire tomber des géants, s’interroge la spécialiste de finance Laurence Scialom ? En tout cas, le cours des actions des grandes banques est à la peine depuis la fin de la semaine dernière.
Ensuite, on voit les dégâts induits par la dérégulation financière à bas bruit mise en œuvre par Donald Trump, notamment en faveur des plus petites banques régionales. On ne peut pas dire que la hausse des taux d’intérêt n’allait pas se produire. Et SVB aurait très bien pu acheter des protections pour se prémunir de ses effets sur la valeur de ses titres.
Mais cela coûte de l’argent et réduit la rentabilité alors que, grâce à Trump, cela n’était pas obligatoire pour une banque de la taille de SVB, une banque qui n’a pas été dans les dernières à réclamer cette baisse de régulation. Un pari sans assurances qui a permis à la banque d’améliorer le rendement de son portefeuille de… 0,4 %. Tout ça pour ça !
Enfin, même si la puissance publique n’a effectivement pas sauvé les actionnaires de la banque, elle a quand même assuré l’argent de startupers qui n’appartiennent pas à la partie la plus pauvre de la population. SVB s’occupait des dépôts des entreprises mais gérait aussi les finances personnelles de leurs dirigeants. Il reste comme un goût d’aléa moral dans cette histoire. A quoi bon fixer un cap sur les remboursements des dépôts si, quand il y a un problème, on instaure une sorte de garantie universelle ?
Reste à voir maintenant la suite des évènements. On sait depuis John Maynard Keynes que les fluctuations de la finance obéissent à des facteurs psychologiques et fondés sur une rationalité mimétique de moutons de Panurge. La tension ne devrait donc pas retomber dans les jours qui viennent.
https://www.alternatives-economiques.fr/silicon-valley-bank-trois-lecons-dune-faillite/00106234
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1er avril 2023 par