David Roux, CEO d’Assala Energy : «Il faut rendre la marque Gabon attractive»

 

De passage au Gabon au mois de mars dernier, David Roux, PDG d’Assala Energy, a accepté de nous accorder une interview pour tirer un premier bilan de cinq ans de développement dans le pays. Dans cette troisième et dernière partie, il s’exprime sur les défis plus particuliers posés au développement du secteur pétrolier gabonais.

David Roux, CEO d’Assala Energy © D.R.

 

Gabonreview : Avez-vous bénéficié, au Gabon, de tout le support nécessaire de la part du gouvernement, de l’administration et du personnel local pour que cette aventure soit un succès ? Quel rôle ces entités locales ont-elles joué dans le succès d’Assala Gabon ?

David Roux : Pour vous prouver la validité de ma réponse, je vais revenir sur un chiffre : nous avons investi 1,4 milliard de dollars en cinq ans. Nous n’opérons pas au far-west, nous opérons au Gabon, en République Gabonaise, au travers de contrats avec la République. Et ces contrats, en particulier, prévoient l’approbation par l’Administration des Hydrocarbures des budgets et des programmes d’investissements. Nous avons donc investi avec le soutien technique et budgétaire, chaque année, de la tutelle. La tutelle nous a soutenus dans cet effort de réinvestissement.

Si certaines choses vont bien, d’autres peuvent encore être améliorées. Mentionnons, par exemple, la dette interne du Gabon. Assala est un créancier important de certaines entités étatiques ou paraétatiques. Et ça, cela pèse sur nos finances. Nous avons des discussions concernant cette dette. C’est normal, c’est comme ça que cela se passe entre partenaires.

Cela ne nous empêche pas d’avancer ensemble. Nous avons toujours eu le soutien de la tutelle pour investir. Et manifestement, nous l’avons toujours, puisque cette année sera l’année où nous investirons plus que durant chacune des cinq dernières années, un investissement sans précédent donc, de plus de 360 millions de dollars en 2023.

Et ce soutien est réciproque puisqu’Assala soutient en retour l’État.

Les investissements massifs consentis par Assala redynamisent le bassin sédimentaire – nous repoussons les limites géologiques et temporelles des champs matures, nous faisons des découvertes en exploration comme celle de Grand-Ngongui fin 2022. Avec pour conséquences positives, plus de réserves pour la République, plus de production, donc plus de revenus et plus d’impôts et taxes pour l’État. Mais également plus d’emploi, direct et indirect, pour plus longtemps.

Enfin, votre question mentionne également très justement le personnel d’Assala. Eh bien oui, pour concrétiser l’investissement, pour faire avancer la société, pour produire, pour réaliser nos projets, il y a bien sûr les femmes et les hommes d’Assala. Sans eux rien n’aurait été possible, rien ne serait possible. Nous avons appris, comme je l’ai mentionné plus tôt, à nous connaître, à bâtir ensemble, sur la base de nos succès.

Aujourd’hui, plus que le nom d’un grand groupe, d’une grande ‘’marque’’ internationale, le personnel d’Assala a pour patrimoine auquel s’identifier, se raccrocher, d’une part ses succès récents dans la revitalisation des champs que nous opérons et l’extension de leur durée de vie grâce aux réserves additionnelles, et d’autre part sa réputation collective, sa capacité à, tous ensemble, outrepasser les challenges techniques, dépasser la maturité des champs, stopper l’inéluctable et ouvrir l’horizon dans de nouveaux projets. Tout cela est bien plus tangible et d’une plus grande valeur qu’une marque d’un grand groupe.

Gabonreview : Malgré ces importants investissements, vous vous considérez toujours comme une junior ?

David Roux : Oui, et nous en sommes fiers.  L’écosystème qu’est l’industrie pétrolière est dans une phase d’opportunité pour les sociétés de notre taille. La maturité des champs de bassins sédimentaires tels que celui du Gabon fait que de plus en plus de grosses sociétés se désengagent. Ces grosses sociétés ont des coûts de fonctionnement importants, une compétition pour le capital entre filiales au détriment des filiales opérant des champs matures, une production de leurs champs matures qui décline, donc des revenus qui déclinent et des profits qui disparaissent. Ces champs matures n’ont donc plus de sens économique pour ces grosses sociétés. C’est une opportunité pour nous, c’est le modèle économique d’Assala. C’est là où les petites sociétés comme Assala reprennent le flambeau.

Vous savez pourquoi Assala s’appelle Assala ? Assala est le nom d’un petit éléphant de forêt du bassin du Congo. Les gros éléphants des savanes, à l’Est et au Sud de l’Afrique il y a des millénaires ont migré vers l’Afrique centrale dans la forêt. Mais avec leurs grandes défenses et leur grande taille, ils ne parvenaient pas à se mouvoir aisément et à survivre dans la forêt dense. Et petit à petit, les plus gros ont disparu et seuls les plus petits ont résisté. Et maintenant, il n’y reste plus que des petits qui constituent les Assala bien connus au Gabon.

Pour nous, il en va de même dans notre métier. C’est la même évolution selon la théorie de Darwin : ce ne sont pas les plus gros, les plus forts qui survivent, mais ce sont les plus adaptables. Et l’une des qualités d’un Assala a été de s’adapter. Nous, également, nous nous sommes tout simplement adaptés à la maturité des champs que nous opérons, avec notre taille, avec nos compétences.

Mais également, pour ce qui concerne Assala Energy, avec nos standards. Notre taille modeste ne constitue en rien un compromis sur la gouvernance, sur les normes de sécurité, sur les normes environnementales. Et au-delà de ce que nous apportons en termes d’investissement et de création de valeur, nous apportons également un gage de qualité, de transparence, de sécurité, de protection environnementale.

C’est un gage vis-à-vis des états qui nous accueillent, c’est un gage vis-à-vis des communautés auprès desquelles nous opérons, c’est un gage vis-à-vis de notre personnel qui fait vivre la société, c’est un gage vis-à-vis de nos fournisseurs, c’est un gage vis-à-vis de nos investisseurs, prêteurs et assureurs… Je ne transige pas, nous ne transigeons pas, sur ces questions de gouvernance.

Il n’y a donc pas de fatalité liée à la perte de gouvernance qui accompagnerait le départ de grosses sociétés comme on le voit aujourd’hui dans des pays comme le Nigeria. Assala offre l’avenir par le redéveloppement des champs matures tout en garantissant des gages de standards élevés, de bonne gouvernance, et de rigueur environnementale.

Gabonreview : Alors, quels sont pour vous les trois principaux freins à l’implantation et à la croissance des juniors pétrolières, en local, dans l’industrie ? Quelle est, à ce sujet, votre observation du secteur ? Est ce qu’il y a des points de blocage qui empêchent des juniors de s’installer ici dans le contexte du Gabon ?

David Roux : Comme je l’ai dit, nous avons besoin pour avancer, comme tout business, du capital d’investisseurs et de la dette de prêteurs. Et investisseurs et prêteurs, de par le monde, suivent leurs investissements et scrutent en particulier les risques qui mettent en péril leur capital et leur profitabilité, et, le cas échéant, se retirent des projets si les risques pèsent plus que les opportunités.

Il faut donc que les pays hôtes qui nous accueillent aient présent à l’esprit la double nécessité, un, de rendre l’investissement attractif – la législation en particulier fiscale doit donner du sens économique à l’investissement pour encourager la création de valeur ; et deux, l’environnement des affaires ne doit pas constituer un frein à l’investissement en en érodant la valeur.

Concernant la législation gabonaise, et en particulier la fiscalité pétrolière, le Code Pétrolier de juillet 2019 a beaucoup amélioré les choses par rapport au code de 2014. Ce code a vu le jour au terme d’un processus législatif qui s’est accompagné d’une étape consultative où le gouvernement a été à l’écoute des contraintes de l’industrie. Nous nous en félicitons.

En revanche, l’environnement des affaires est affecté par deux sujets d’inquiétude dans la communauté des investisseurs.

D’une part comme je le mentionnais précédemment, la dette de la République envers les sociétés, pétrolières pour ce qui nous concerne ici. Je n’entrerai pas plus dans le détail – des discussions sont en cours avec la tutelle. Mais il s’agit d’un important capital immobilisé que nous attendons en retour. Pourquoi ? Parce que d’une part ce capital bloqué n’est pas investi, donc ne profite pas aux actifs dont nous avons la charge. Et d’autre part parce que nous empruntons nous-mêmes sur les marchés pour pallier ce déficit de capital, avec la charge de la dette qui nous incombe.

Et d’autre part, il y a les audits de la part de l’État. Je ne critique évidemment pas le principe de ces audits, ce sont des dispositions contractuelles et nous nous y soumettons en toute rigueur. En revanche, leur nombre et les pénalités sans adéquation économique avec la valeur de nos actifs sont autant de freins à la confiance des investisseurs – ceux présents au Gabon, et ceux qui auraient des velléités à venir y investir. J’entends souvent dire ‘’les pétroliers font ce qu’ils veulent en toute opacité’’. En tout cas pas chez Assala : pour la seule année 2022, nous avons fait l’objet de 160 missions de contrôle et d’audit de l’Administration, avons travaillé avec 550 auditeurs pour un total de plus de 4800 jours-auditeur de travail de vérification. Autant dire qu’il n’y a aucune opacité chez nous.

Comme chacun sait, on ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure. Et malheureusement, à l’étranger, ce sont ces aspects qui font l’objet de conversations, au détriment de l’attractivité. Gouvernement et industrie doivent donc travailler ensemble à s’assurer qu’il n’y ait que des trains qui arrivent à l’heure dans les conversations et que l’attractivité de la marque ‘’Gabon’’ démultiplie le niveau d’investissements étrangers dans le pays.

Gabonreview : Une dernière question : y a-t-il quelque chose que vous auriez voulu dire, qui vous tient à cœur et que nous ne vous avons pas amené à aborder ?

David Roux : Oui, j’ai mentionné plus tôt dans notre entretien combien notre projet était un succès. Je veux que cela se sache. Je veux que les femmes et les hommes d’Assala qui font ce succès en soient fiers et que grâce leur en soit rendue ici et ailleurs.

Je forme le vœu que ce succès garantisse, par la confiance qu’il suscite, notre accès futur et continu au capital et à la dette d’une part ; et d’autre part serve de faire-valoir à la marque Gabon pour que l’investissement, au-delà de notre industrie, prospère dans le pays pour les Gabonaises et les Gabonais.

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