`Série de naufrages négligés ces 6 derniers mois au Gabon. Rapport annuel 2021 du MOU d’Abuja indiquant la faiblesse du Gabon en matière de respect des normes maritimes. Customisation des navires à la fantaisie des armateurs et au mépris des règles. Dédain des conventions de l’OMI. Censé assurer la gestion du domaine public maritime, le ministère gabonais des Transports à travers la direction la Marine marchande est abonné au laxisme et aux pots de vin. Derrière l’affaire Esther Miracle se cache la vérité du secteur maritime gabonais qui impose la prise de mesures rigoureuses. Ce que disent les acteurs du secteur maritime gabonais.
Un peu plus d’une centaine de passagers avec à la clé plusieurs morts et disparus. Sans doute, le plus grand naufrage de l’histoire maritime gabonaise. A l’image du Titanic, la seule évocation du nom Esther Miracle ressortira désormais des mémoires le drame qui, aujourd’hui, afflige aussi bien les familles des victimes que le peuple gabonais. Il y a cependant que, dès la circulation des premières images sur la toile, des fins connaisseurs du milieu maritime ont estimé que le drame était évitable. Le bateau, assurent-ils, était inapproprié.
Un bateau modifié au mépris des conditions de sécurité
Selon des sources du secteur maritime local, à la technicité éprouvée et dignes de foi, le navire de l’armateur Royal Cost Marine n’était, en réalité, pas un bateau pour le transport des passagers. Il a été modifié au mépris de toutes les conditions de sécurité. La cabine aménagée affirment-elles, «n’était pas prévue pour prendre autant de passagers». Le bateau devait en principe ne prendre que l’équipage et le fret. Les propriétaires auraient complètement modifié, et sans l’avis d’ingénieurs en construction navale, le toit du navire donc son tirant d’air (hauteur du navire). Ce qui ne présageait rien de bon tant de telles modifications affectent la stabilité de l’appareil. «Il y a des calculs pour la stabilité. Est-ce que ça a été fait ? Je ne crois pas», commente un expert du milieu.
Plein de conteneurs, le poids du bateau en question, explique celui-ci, ne pouvait supporter l’ajout de 126 passagers même à une moyenne de 80kg. Le navire aurait donc succombé à des facteurs aggravants dus aux modifications faites sans calcul de stabilité et sans ingénieur de conception en naval. Si l’on se demande pourquoi il a été autorisé à naviguer sur les eaux gabonaises dans ces conditions, après le drame le ministre des Transports, Brice Constant Paillat, et le président directeur général de Royal Cost Marine, Blaise Armand Mbadinga, n’ont évoqué que des questions liées à la prise en charge des victimes et la recherche des personnes disparues. Urgence oblige, dit-on. Mais au-delà, se cache la vérité du secteur maritime gabonais.
La vérité autour du secteur maritime
Ces 6 derniers mois, 4 naufrages au moins ont été dénombrés au Gabon. Le 1er, celui du navire Cassanga de la Compagnie nationale de navigation intérieure et internationale (CNNII) qui, en détresse au large de Port-Gentil, aurait pu aboutir à la catastrophe de l’Esther Miracle. Le 2e, un bateau appartenant à la CNNII ayant entièrement brûlé devant Port-Gentil. N’eût été la présence d’un autre navire dans la zone «l’équipage serait mort». Le 3è, celui d’un bateau de pêche chinois, le M/V Antonieta, reconverti en bateau de transport qui assurait la ligne Lomé-Douala/Douala-Libreville et qui amenait des vivres. Il y a quelques semaines, il s’est empalé sur une épave du Port-Môle de Libreville et a mis 48h à sombrer sans réaction. Le 4e, l’Esther Miracle «qui coule corps et âme» avec des morts et des dizaines de disparus.
Des sinistres qui en réalité dévoilent un fait : le secteur maritime gabonais va vau-l’eau. Dans la baie de Michelle Marine à Libreville, par exemple, sont plantés deux bateaux de transport. L’un faisait la ligne Sao-Tomé et l’autre la côtière jusqu’au Nigéria. Ils seraient plantés-là parce qu’ayant coulé et sont désormais un danger pour d’autres bateaux. Si sur les eaux, naviguent en permanence des navires en difficulté qui finalement, tentent le tout pour le tout, dans les fonds marins, des épaves s’entassent tant les eaux ne sont pas débarrassées des bateaux qui coulent. Conséquence, en plus d’obstruer les ports, ils participent de la pollution maritime. «C’est un problème qui pourrait d’ailleurs faire en sorte que le Gabon soit mal noté sur des indices pour les investissements notamment pour les infrastructures maritimes. Surtout le Port-môle de Libreville», alerte un expert jadis dans le projet Gabon Bleu. «On a des fonds vaseux, ça va être compliqué de les traiter», a-t-il ajouté.
Quid du rôle de la Marine marchande ?
Des dérives qui amènent à interroger le travail de la Marine marchande. Censée assurer la gestion du domaine public maritime, la navigation maritime étant codifiée au niveau mondial, elle doit veiller à ce que toutes les conditions de navigation soient réunies. En clair, veiller à ses missions de contrôle et de supervision du secteur. «Or, il n’y a absolument aucun contrôle. Les bateaux sont des rafiots, ils sont très très souvent en difficulté», a fait observer l’expert du Gabon Bleu relevant que «le problème c’est la non application du Code CEMAC qui n’est que la traduction internationale, en termes maritimes, des conventions de l’Organisation maritime internationale (OMI)».
Il y a qu’au niveau africain, la Convention d’Abuja dont le Gabon est membre régit le « Port state control ». Or, au Gabon, il n’y a ni contrôle ni application de toutes ces conventions de l’OMI. Il n’y a pas d’investissements dans les infrastructures destinés à la réception des navires pour les contrôler avant de leur donner le quitus… pour le trafic intérieur ou régional. Pourtant, ces bateaux, vue leurs tailles, sont astreints à la même rigueur que les porte-conteneurs. De l’avis d’experts approchés par Gabonreview, ces navires à passagers devraient réunir toutes les conditions de sécurité en termes d’équipage, de formation d’équipage, de radio, de matériel de survie et de sécurité. «Or quand on regarde l’Esther Miracle, quasiment tout le monde était à l’eau», note un mécanicien à bord travaillant pour une petite compagnie maritime du Port-Môle de Libreville. «A la limite, aucun radeau», souligne le même informateur.
Les pots-de-vin au détriment de la vie humaine ?
Les passagers repêchés, – semblent avoir survécu grâce à leurs gilets de sauvetage or, ils auraient dû se réfugier dans des radeaux de sauvetage sécurisés qui auraient dû être percutés (enclenchés) à la seconde pour qu’ils montent à bord. L’enquête ouverte devrait dire le détail sur les circonstances de ce drame mais plusieurs fins connaisseurs du milieu maritime gabonais accusent la Marine marchande qui ne jouerait pas véritablement son rôle de contrôle. L’état des bateaux en circulation en dit long. «Des inspecteurs doivent être déployés dans le pays, ils doivent être formés et doivent être intransigeants. On ne peut pas avoir des navires qui naviguent dans cet état. Or, tous sont comme ça. Il y a des mesures suspensives et après ?», déplorent-ils.
«La Marine marchande a des moyens mais on ne sent pas ces moyens sur le terrain. Il y a aussi l’administration portuaire qui ne devrait pas accepter que des bateaux comme ça rentrent. Et puis chaque fois qu’il y a un navire qui coule, on le laisse là», ajoutent-ils.
Le rapport annuel 2021 du MOU d’Abuja, montre d’ailleurs la faiblesse du Gabon en termes de contrôles. S’il met en évidence les contrôles effectués par le Gabon, il révèle que le pays ne notifie pas les défaillances constatées au niveau des contrôles. Pourtant, des naufrages il y en a. Une situation qui amène à penser qu’il y a soit une faiblesse du personnel à constater les défaillances lors des contrôles – ce qui pose un problème de compétence et de formation -, soit que «ça se règle autrement, par un billet notamment». La corruption fonctionne. Mais elle coulera le Gabon.
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