Échange dette-nature au Gabon : Une aberration

 

Devant être conduite par Bank of America, l’opération visant à échanger une partie de la dette publique contre la protection de 26% des eaux territoriales soulève des questions aux plans politique, juridico-institutionnelle et technique.

26 % des eaux territoriales du Gabon à protéger en contrepartie de 500 millions de $ de la BofA ? Pourquoi Lee White qui n’est ni le plus légitime ni le mieux outillé, doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou et Edith Ekiri Mounombi ? Pourquoi l’opération est-elle conduite dans l’opacité, à l’abri des regards indiscrets ? © Gabonreview (Montage)

 

Où l’on reparle de finance verte.  Pendant des mois, les crédits-carbone étaient au centre du débat. Du président de la République à l’archevêque de Libreville en passant par le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), de nombreuses personnalités ou institutions avaient cru bon d’aborder ce sujet, se laissant entraîner sur des sentiers mal connus. Si le One Forest Summit a douché bien des certitudes, un autre instrument pourrait déclencher une nouvelle controverse : les échanges dette-nature. Déjà évoqués en octobre dernier, ils ont été remis au goût du jour. À en croire l’agence Bloomberg, Bank of America (BofA) conduira une opération d’un montant de 500 millions de dollars. En contrepartie, le Gabon s’engagera à protéger 26 % des eaux territoriales, avec le soutien de The Nature conservancy (TNC). On parle d’un réseau de 20 parcs marins et réserves aquatiques s’étendant sur 53 000 kilomètres carrés, soit près du double de la surface couverte par les parcs nationaux terrestres.

Dans l’opacité

Parti comme c’est parti, cette initiative confine à l’aberration. Au plan politique d’abord : n’en déplaise au gouvernement, nul ne semble au fait des détails. Ni les administrations sectorielles ni les instituts de recherche ni la société civile et, encore moins, les parlementaires n’en cernent les contours. Comme souvent, l’opération est conduite dans l’opacité, à l’abri des regards indiscrets. Comme toujours, elle ne donne lieu à aucun débat, alimentant suspicion et thèses diverses, y compris les plus complotistes. Comme si la dette publique était l’affaire des uns et pas des autres. Comme si le droit à l’information n’est pas un principe à valeur constitutionnelle. Appelé à avaliser les emprunts de l’Etat, le Parlement ne doit-il pas être tenu informé de l’existence d’une stratégie de désendettement ?

Au demeurant, cette opération relève de l’aberration juridico-institutionnelle. Si l’implication du ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l’Environnement se comprend, on ne saurait expliquer la mise à l’écart de ses collègues en charge de l’Economie ou des Finances. Voire du directeur général de la Dette. Au-delà, on ne saurait dire quand le Conseil des ministres s’est-il prononcé sur cette question. Sauf à donner un blanc-seing à son initiateur, il faut exiger des explications. A moins de le placer au-dessus de l’édifice institutionnel, on doit élargir la discussion à des personnalités et entités beaucoup plus indiquées. Pour parler des identités des créanciers, des échéances de remboursement, de la réduction des dépenses, de l’augmentation des recettes, du ratio dette-croissance, des taux d’intérêt ou de l’inflation, Lee White n’est ni le plus légitime ni le mieux outillé. Pourquoi doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou et Edith Ekiri Mounombi ?

Etude de faisabilité

Quand bien même le débat sourde encore, cette opération est aussi une aberration technocratique. De quel type d’échange dette-nature s’agit-il ? D’une conversion de dette bilatérale comme celle résultant de l’accord passé en 2008 avec la France sous la houlette d’Omar Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ? D’une initiative d’allègement de la dette multilatérale ? Ou d’une conversion de la dette commerciale ? Mystère et boule de gomme… Afin de permettre à la communauté nationale de se faire une meilleure idée, une étude de faisabilité doit être conduite. Profil de la dette, politique de désendettement, contexte macro-économique, sources de financement, aspects juridiques et fiscaux, taux de décote, bailleurs intéressés ou concernés, mécanismes de gestion des fonds… Sur tous ces points, ni le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l’Environnement ni l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ne disposent de données complètes. Bien au contraire. Naviguant en eaux troubles, ils se laissent porter par le mouvement impulsé par les organisations internationales engagées dans la protection de la biodiversité.

S’il ne veut pas faire du Gabon le dindon de la farce, le gouvernement doit sortir de sa torpeur. Au lieu de se laisser endormir par des promesses mirobolantes, il doit renvoyer chacun de ses membres à ses prérogatives. En plaçant les ministres en charge de l’Economie et des Finances au centre du jeu, il se donnerait une chance d’y voir plus clair. En ouvrant le débat à d’autres acteurs nationaux, il créerait les conditions pour la conduite d’une opération maîtrisée. Ayant longtemps présenté l’écotourisme comme le segment d’avenir, ayant ensuite fondé ses espoirs sur les crédits-carbone, il a déjà fait face à tant de désillusions. A chaque fois, il a été confronté à sa propre crédulité et à son déficit de rigueur. D’où les quolibets, doutes et inquiétudes émis par certains observateurs. Pour eux, comme pour les générations présentes et futures, il faut recentrer les choses.

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