De passage au Gabon en mars dernier, David Roux, CEO d’Assala Energy, a accepté de nous accorder une interview pour tirer un premier bilan de cinq ans de développement dans le pays. Dans cette deuxième partie, il s’exprime sur les défis liés au local content, que ce soit en termes d’emplois et de compétence, ou en termes de sous-traitance.
Gabonreview : Lorsque vous avez racheté les actifs de Shell, le personnel vous a-t-il soutenu ? C’est parfois difficile quand arrivent des nouveaux patrons et la transition a pu susciter des frustrations…
David Roux : En effet, au départ la situation était marquée par une sorte de méfiance. On peut dire que les choses ont bien changé depuis. Lors d’un récent passage au Gabon, après avoir fait la tournée de tous les sites, j’ai terminé par le bureau de Port-Gentil. On a pris un verre tous ensemble et nous discutions de ça.
Le personnel travaillait auparavant pour le groupe Shell, l’une des quatre ou cinq plus grandes sociétés pétrolières mondiales et, pour certains de nos collègues, cela représentait plus de 30 ans dans le groupe. Ils avaient été, soit stagiaire chez Shell, soit ils avaient été envoyés à l’université par Shell. D’autres étaient fils ou fille d’agent Shell. Shell avait à Gamba une école, c’est-à-dire qu’ils étaient allés à l’école Shell, avaient habité toute leur jeunesse dans des maisons Shell… avant de travailler ensuite chez Shell. C’est toute une vie, c’est intimement lié à ce qu’ils ont vécu et à ce qu’ils sont aujourd’hui. Donc le jour où cette relation se termine, c’est un cataclysme personnel. Et ça, nous devions le respecter, et nous l’avons respecté.
Il a fallu apprendre à travailler ensemble. On sortait d’une période de cinq ans où il y n’avait eu que 6 puits forés. Il fallait investir, forer. Nous sommes donc passés d’un seul coup à un programme de forage de 40 puits en cinq ans, de 150 workovers, et un investissement de plus de 200 millions de dollars en moyenne par an. On pourrait dire que l’exploitation était en roue libre. Et puis d’un seul coup, on attaque un col en haute montagne. Forcément, après les premières rampes, il faut le temps de reprendre son souffle, se caler ensemble sur un rythme pour progresser ensemble vers le sommet.
Petit à petit, le personnel a compris l’intérêt du projet de réinvestissement dans les actifs, l’intérêt de renouveler les réserves, ce qui veut dire allonger la durée de vie des champs, donc du business, donc de la société, donc de leurs emplois et de ceux de la génération suivante. Ils ont vu concrètement les bénéfices des efforts qu’ils consentaient, des efforts de travail, mais également des efforts personnels sur le fait qu’ils avaient abandonné la protection d’un grand groupe international et qu’ils étaient maintenant dans une société beaucoup plus petite que personne ne connaissait peu de temps avant notre arrivée. Ils se sont approprié le projet et en ont fait le leur.
Il y a donc eu une période d’’adaptation. Mais petit à petit, ce qui a permis à tout le monde de se regrouper et de travailler ensemble, c’est les résultats. Il n’y a rien de mieux pour assurer la cohésion d’une équipe que les victoires. Vous gagnez, la victoire permet aux gens de se souder. Depuis, et je l’ai ressenti lors de ma visite après le Covid l’année dernière, je n’entends plus jamais parler de l’opérateur précédent. Assala est dans le sang, dans les tripes, dans les cœurs de tous. Et ça, ça fait chaud au cœur.
Gabonreview : Au-delà des personnels qui sont très majoritairement gabonais, la majorité des contrats de sous-traitance attribués par Assala Gabon à des compagnies détenues et dirigées par des Gabonais, sont dans des domaines d’activité à très faible impact et technicité. Dans un esprit gagnant-gagnant avec le pays mais aussi en termes de RSE, que fait Assala pour que ces sous-traitants promus par des nationaux puissent rivaliser avec les compagnies certes de droit Gabonais, mais dont l’actionnariat est étranger, et essentiellement Français ?
David Roux : Je vais d’abord mentionner deux choses.
La première, c’est qu’effectivement, quand on se penche sur la question, force est de constater qu’après presqu’un siècle d’industrie pétrolière au Gabon, trop peu de sociétés spécialisées ici au Gabon sont détenues ou animées par des Gabonais. Moi-même qui suis impliqué au Gabon depuis la fin des années 90 et qui nourris un lien très fort avec ce pays, j’en suis attristé. Ce sont des décennies d’occasions manquées, tant du côté de l’industrie que du côté du Gabon lui-même en tant que pays.
Le second point que je voudrais mentionner, c’est qu’avant de parler de ce qu’on fait nous, pour améliorer les choses, je voudrais aussi tempérer en mentionnant le fait que, même s’il n’y a pas pléthore de sociétés à capitaux gabonais, dans des domaines très spécialisées, il en existe tout de même quelques-unes qui prouvent que les entrepreneurs gabonais ont toutes les clés pour réussir dans le secteur pétrolier.
On travaille par exemple avec une société gabonaise concurrente des Schlumberger ou Halliburton et qui s’appelle GM Energy et dont le fondateur est gabonais. Il a osé s’attaquer aux parts de marché des Schlumberger et Halliburton et aujourd’hui il effectue un travail admirable. À tel point que le chiffre d’affaires de GM Energy chez Assala est de l’ordre de 4 millions de dollars.
Autre exemple, il y a une société à Gamba qui s’appelle Man Maker, une société de maintenance de l’outil pétrolier et qui réalise avec nous un chiffre d’affaires d’un million de dollars. Ça fait six ans déjà. Tout est gabonais : capital gabonais, fondateur gabonais.
Nous-mêmes, au sein d’Assala, employons des compétences gabonaises. Parce que cela a du sens économique. Il est plus intéressant économiquement de faire travailler une société qui a les compétences ici plutôt que de faire venir une société de Houston ou de Oklahoma City… Pas parce que nous sous-payons les sociétés gabonaises, mais parce qu’on n’a pas à les faire venir d’ailleurs. Le Local Content ne doit pas être une obligation mais une évidence économique.
Gabonreview : Mais que faudrait-il faire pour résoudre ce défi ? Quels sont les freins que vous identifiez pour le développement de sociétés gabonaises de haut niveau dans la chaîne de valeur des industries pétrolières ?
David Roux : Dans notre industrie, nous avons l’obligation de faire les choses selon des standards pointus, nous sommes soumis à des normes environnementales rigoureuses. Donc, ce qui pèche dans le système, c’est malheureusement que beaucoup de sociétés qui aimeraient démarrer ici au Gabon, n’ont pas les standards qu’on exige de nous et donc que nous exigeons de nos sous-traitants. Et cela complique énormément le système. Parce que c’est un cercle vicieux. Ils n’ont pas les standards, donc ils ne peuvent pas être compétitifs dans des appels d’offre. Donc ils n’ont pas de marchés. Mais comme ils n’ont pas de marché, eh bien ils n’ont pas les revenus et l’expérience nécessaire. Une société, c’est comme un être humain. Un être humain, il gagne en expérience quand il a un boulot. On connaît tous le problème des jeunes qui arrivent sur le marché du travail. On leur dit, désolé, mais vous avez zéro expérience. Donc on ne peut pas vous prendre. Mais tant qu’on n’obtient pas un premier emploi, on reste par nature sans expérience. Cercle vicieux…
Avec les sociétés, c’est pareil. Ils n’ont pas les standards, donc ils ne sont pas compétitifs dans les appels d’offres, donc ils n’ont pas de marchés. Mais comme ils n’ont pas de marchés, ils n’attirent pas l’expérience et ils n’ont pas les revenus suffisants pour investir dans l’acquisition de ces standards…
Ce qu’il faut, c’est briser ce cercle vicieux. Et le seul moyen de le briser, c’est d’accepter d’aider les sociétés, même celles avec qui nous n’avons pas forcément de contrats, à acquérir ces standards requis. Ou alors leur donner un contrat mais en gardant en tête le fait qu’ils n’ont pas les standards requis, mais nous allons en même temps les accompagner pour que, rapidement, elles acquièrent les standards que nous attendons d’elles. C’est ce que nous avons mis en place chez Assala. Et avec des individus et avec des sociétés, c’est la formation.
On emploie par exemple des jeunes à qui on donne une première expérience, ou une formation, ou les deux. Nous avons par exemple 79 jeunes stagiaires, la plupart d’entre eux au travers de contrats ONE (Office National pour l’Emploi). Et nous formons des jeunes à travers un programme Assala appelé « Leaders de demain ».
Gabonreview : En quoi consiste ce programme Leaders de demain ?
David Roux : On ne peut pas reprocher à des gens de ne pas avoir d’expérience ou de compétences si on n’a jamais fait l’effort de leur permettre de les acquérir. Nous avons donc lancé ce programme Leaders de Demain en novembre 2022 afin de former des jeunes professionnels des localités proches de ses zones de production, aux métiers des opérations pétrolières. 29 jeunes, hommes et femmes, issus de la ville de Port-Gentil, mais pas seulement car nous voulions que les communautés autour des sites de Gamba, Rabi, Toucan et Koula puissent bénéficier de cette opportunité. On a donc mis en place 29 contrats d’apprentissage en alternance. Leur contrat prévoit un système de rotation qui leur permet d’obtenir une formation qualifiante dans des centres de formation à Port-Gentil et une formation pratique sur les sites de production Assala.
Cela est vrai pour les individus, mais c’est aussi vrai pour les entreprises. Il y a des sociétés locales à Port-Gentil qui n’étaient pas du tout compétitives et qui n’avaient pas le bon système de fonctionnement pour faire leur chemin dans le milieu pétrolier. Ils avaient en particulier des difficultés pour répondre à un appel d’offres. Donc on les a pris par la main pour les guider pas à pas, parce que dans les appels d’offres, il y a des cahiers des charges et, dans notre industrie, il y a énormément de normes. Comment on peut aller demander à quelqu’un qui se lance dans le business à Port-Gentil de pouvoir y répondre sans avoir eu l’opportunité d’en connaitre les ressorts ?
Gabonreview : comment cela s’est-il concrétisé ?
David Roux : Par le transfert de ces compétences. Formation ‘’Appel d’Offres’’, je l’ai dit. Formation ‘’Facturation’’ ; certaines petites sociétés se plaignaient d’être payées en retard par Assala alors que leurs factures non-conformes étaient tout bonnement rejetées par nos rigoureux comptables. Nous avons fait en sorte que les normes de facturation soient transmises à ces sociétés ; ce qui non-seulement les place en meilleure position vis-à-vis d’Assala, mais également vis-à-vis d’autres sociétés pétrolières qui peuvent avoir recours à leurs services.
Enfin, comme je l’ai mentionné auparavant, il y a l’expertise technique qui se bâtit au travers de premiers contrats de services et qui s’accompagne inévitablement chez Assala de normes de sécurité et d’environnement.
Nous faisons un effort à notre niveau, mais à cela ne changera pas les choses suffisamment rapidement. Pour que les choses changent vraiment, il faut que tout le monde fasse les mêmes efforts en même temps.
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